Il est un blogueur discret et révolté, dont chaque billet est un caillou dans la chaussure de l'air du temps.
#monanalyse
le 13 MARS 2021,
L'interview de Paul Kerjean (@pkblog)
Pour en savoir plus :
PrototypeKblog
Il est un twittos discret, effacé, qui n'a pas de photo de profil et qui ne parle pas aux gens mais leur écrit des billets de son blog, « PrototypeKblog », sous-titré « le chemin se fait en avançant ». Arriver sur son blog, c’est l’assurance de suivre, d’hyperliens en hyperliens, tout un cheminement qui fait réfléchir. Un chemin politique où il n’y a ni droite ni gauche, juste l’humanité d’un homme.
Quel a été l’événement déclencheur pour créer ton blog ?
Bonjour mon cher Maître,
C'était un lundi de décembre 2012. Il restait deux semaines avant les vacances de Noël, et dans mon activité d'alors, ça promettait d'être deux semaines structurellement ennuyeuses.
C'était deux semaines avant la supposée fin du monde selon le supposé calendrier des Mayas, le 21/12/12. Les mois précédents avaient été bien chargés. Les mois à venir, à partir de janvier 2013, s'annonçaient bien chargés.
Ca faisait des années qu'on me pressait de mettre à écrire un blog.
Ca faisait des années que je sentais beaucoup de choses glisser dans le mauvais sens, dans ma vie personnelle comme dans tout le reste.
C'était un lundi. C'était un lundi matin.
Je me suis lancé. Il n'y a eu aucun évènement déclencheur. La veille, je n'y pensais pas. L'après-midi, je n'y aurai pas pensé – une urgence très imprévue de type enfant à emmener d'urgence aux urgences m'est tombée dessus ce midi-là.
Non, il n'y a eu aucun évènement déclencheur.
Peut-être eût-il mieux valu que rien de tout ça n'arrive, d'ailleurs.
Tu as commencé en 2012 et produit plus de 600 billets depuis, en maintenant un rythme régulier d’écriture. Comment expliques-tu cette longévité exceptionnelle de blogueur ?
Une forme de persévérance, sans doute.
Une illustration que, au fond, j'ai ou j'avais des choses à dire – l'intérêt et la pertinence des dîtes choses restant variables et discutables. La fait aussi que ce blog a pris parfois des allures de radeau, de truc auquel je m'accroche au milieu de la tempête.
Une forme d'acharnement.
Une illustration de ces trois mots banals que je cite souvent, en pensant toujours très précisément au chapitre 104 du Pendule de Foucault :
« Ce soir-là, j'étais seulement fier d'avoir construit une belle histoire. J'étais un esthète, utilisant la chair et le sang du monde pour en faire de la Beauté. Belbo était désormais un adepte. Comme tout le monde, non par illumination, mais faute de mieux. »
S'il m'est permis de m'auto-citer/auto-référencer dans ce contexte... Un jour j'ai écrit un billet intitulé « Ce qu'on ne peut pas me prendre ».
Une précision : sur 660 billets, il y a probablement au moins la moitié qui ont très mal vieilli, peut-être bien plus.
Ah ça... Nous vieillissons tous, et nos écrits avec nous... c'est aussi un témoignage du temps, une manière de se souvenir en relisant de vieux textes...
Je confesse qu'il m'arrive de regarder les statistiques de lecture epsilonesques de ce blog.
Je suis parfois surpris de voir apparaître le titre d'un billet dont j'avais oublié l'existence.
Inversement, certains billets sont indissociables d'un moment, d'un lieu ou d'une période.
C'est curieux, la mémoire et toutes ces sortes de choses, mais je ne t'apprends rien.
C'est vrai, c'est curieux, la mémoire...
Tu as commencé ce blog en écrivant qu’il n’y avait pas de plan défini. Et aujourd’hui ?
Aujourd'hui, je crains que ce blog ne soit devenu « bipolaire », avec toutes les réserves qu'implique ce mot désormais fortement connoté psychologiquement.
Ou, pour reprendre une tournure de phrases qui sent bon la compote de pommes de l'hiver 1995 : « Il y a dans ce blog une fracture... »
... avec d'un côté des billets sur l'actualité navrante du néolibéralisme en temps de pandémie, le macronisme c'est le pillage et la crise climatique est priée d'attendre les prochains versements de dividendes...
... et d'un autre côté des billets sur le naufrage non moins navrant d'un individu emprisonné chez lui par lui-même depuis le vendredi 13 mars 2020, comme tant d'autres en télétravail avec perpétuité, avec quelques circonstances aggravantes.
Bref, un mélange vulnérable et navrant de militantisme et de dépression.
Faute de mieux, évidemment, faute de mieux.
« Le chemin se fait en avançant » ? Oui, mais que dire d'un chemin qui tourne en rond. Comme dit Dupond à Dupont dans la jeep « Nous sommes sûrement tout près d'un grand centre... »
Ah oui, « Nous n'avons plus qu'à suivre ces traces et le tour est joué » #monanalyse
Dans le nuage de mots clefs de ton blog, celui écrit le plus gros est « temps », puis il y a « vie », « Europe », « Histoire », « néolibéralisme », « capitalisme » : qu’est-ce que ce classement t’inspire ?
Je suis tenté de répondre par quelques slogans / formules lapidaires / tweets à l'ancienne (140 caractères c'était déjà beaucoup) / titres de vieux billets ou de futurs billets...
Le temps, c'est ce qui manque le plus.
L'Europe, c'est pas l'Union Européenne.
L'Histoire est vivante. (« Je suis vivant et vous êtes morts », c'est Ubik, PK Dick, Carrère, etc; moi c'est plutôt « Je suis mort et vous êtes vivants »)
Le néolibéralisme, c'est le pillage des vieilles nations par leur soi-disant élites ; c'est aussi un poison déversé en abondance dans toutes les têtes nées à partir de 1970 environ (le temps zéro en informatique moderne (UNIX JS etc) c'est le 1/1/1970, je ne crois pas à la thèse de l'accident).
Combien de temps consacres-tu à l’écriture ?
Pas assez. J'ai un travail, j'ai une famille (et j'ai aussi une patrie, mais elle ne me consomme pas tant de temps que ça).
Et puis, il ne faut pas que ça se voie.
Pourquoi n’as-tu toujours pas écrit LE grand ouvrage qui, sans aucun doute, fera de toi le Karl Marx du XXIe siècle ?
Parce que je n'en ai pas le talent, tout simplement. A la base, je reste principalement un ingénieur informaticien anonyme et un peu paumé, et pas grand-chose de plus, memento mori et tout le bazar. Les faits sont têtus, mon cher maître. Факты — упрямая вещь.
Nous nous sommes connus par blogs interposés il y 3 ans, nous sommes devenus amis. Comment notre amitié a-t-elle changé ta vie ?
Elle fait partie des rayons qui ont redonné de la couleur à ma vie à une époque où elle manquait singulièrement.
En ayant ton interview publiée dans le blog suprême de Maître Roger, ce dont rêvent tous les blogueurs bien nés, tu n’ignores pas que tu risques de doubler ton nombre de followers. Es-tu prêt au grand saut vers la célébrité ?
Question de Madame Bellepaire, de Loches... Qui a dit, en juin 2011 : « Hier, j’avais une chance sur un million [de devenir président de la République]. Aujourd’hui, j’ai deux chances sur un million. À ce rythme-là, on peut parler de progression exponentielle… » ?
Quand le foutu confinement sera terminé, où irons-nous déjeuner ?
Où on pourra.
Et Dieu, dans tout ça ?
J'ai grandi avec la conviction qu'on pouvait se passer des religions, que les vieilles religions ne servaient plus à rien, sinon comme reliques, curiosités touristiques et intellectuelles.
J'ai gardé cette conviction, même si je comprends de mieux en mieux le besoin de croire, le besoin de liens, le besoin de révélations et autres ressorts qui nourrissent les phénomènes religieux.
Je suis navré de voir l'importance accordée par mes contemporains aux machins religieux et néo-religieux, l'utilisation et la manipulation qui en sont faites, au premier, deuxième et énième degrés.
On a suffisamment de problèmes ; on n'a pas besoin de ça.
Bref, je ne compte pas sur dieu, mais s'il existe et s'il est bienveillant, comme on dit maintenant, il doit être très occupé, y a du boulot.
Etc etc etc.
C'était l'interview de Paul Kerjean (@pkblog)
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