Quand Christophe Korell m'a suggéré d'interviewer Michel Goya et Historicoblog, je me suis dit que j'étais bien barré, moi le pacifiste primaire incapable de dire correctement le nom d'une arme, et pas plus de reconnaître un grade. L'armée, clairvoyante, m'avait d'ailleurs exempté du service, avec une jolie note du genre Y-quelque-chose. Et puis j'ai lu leurs blogs, et je ne peux qu'encourager chacun à y aller lire à son tour de quoi mieux comprendre le monde. Avec une qualité infiniment supérieure qu'en s'infligeant les plateaux de BFM ou Cnews.
#monanalyse
le 13 MAI 2021,
L'interview de Historicoblog (4) (@historicoblog4)
Pour en savoir plus :
Historicoblog (4)
Quand as-tu créé « Historicoblog (4) ? Y a-t-il eu un fait générateur précis dont tu te souviens ?
Oui. Le blog précédent, Historicoblog (3), a été supprimé par Blogger en avril 2017. À l’époque, le régime syrien venait de commettre une attaque chimique sur Khan Sheikhoun, dans la province d’Idlib, sur la population civile, avec du gaz sarin.
J’ai eu des échanges assez vifs sur les réseaux sociaux, notamment Twitter, avec des Français ne cachant pas leurs sympathies pour le régime syrien ou son allié russe. Quelques jours plus tard, mon blog disparaissait, supprimé par Blogger, probablement sur dénonciation calomnieuse, étant donné que je n’avais jamais eu ce type de problème avant, alors même que je postais souvent en illustration de mes travaux des documents de propagande de l’État islamique, par exemple.
Quel est l’objectif de ton blog aujourd’hui et a-t-il évolué dans le temps ?
Au départ, l’objectif de mon blog était de publier des fiches de lecture d’ouvrages portant sur l’histoire et l’histoire militaire, mes thèmes de prédilection. À partir d’août 2013, quand j’ai commencé à m’intéresser au conflit syrien, j’y ai également publié toutes mes analyses sur le sujet et les fiches de lecture ont commencé à s’orienter, aussi, vers cette thématique. Même chose à partir d’août 2015 où j’ai commencé à travailler sur les vidéos de propagande militaire de l’État islamique.
À partir de la fin de l’année 2017, pour des raisons de sécurité, ayant été menacé par des Français partisans de l’État islamique, et aussi parce que j’estimais qu’il était plus raisonnable de ne pas diffuser non plus des contenus de propagande de ce groupe même à des fins d’illustration, j’ai opté pour une liste de diffusion mail confidentielle en ce qui concerne mes analyses.
Le blog n’a donc plus vocation qu’à contenir les fiches de lecture que je peux encore faire sur des ouvrages abordant le conflit syrien, l’État islamique ou des thèmes proches en général. Parfois, avant, je faisais aussi quelques critiques de films de guerre / d’histoire, sujet qui m’intéresse aussi.
Que signifie ce (4) ?
C’est le quatrième blog que je tiens avec ce nom. Les deux premiers étaient pour ainsi dire des bancs d’essai, le premier alors que j’étais encore étudiant (l’époque fameuse des blogs MSN :) ), le deuxième était déjà plus dans l’esprit que je décrivais plus haut (fiches de lecture sur des ouvrages d’histoire / d’histoire militaire), et le troisième a été le premier que j’ai fait sur Blogger, plate-forme qui me convenait bien, c’est pourquoi je suis resté sur celle-ci en créant le 4ème et dernier Historicoblog.
Les blogs MSN... bigre, voilà qui ne nous rajeunit pas... mais tu as quel âge ?
Je suis encore dans la fleur de l’âge :) je n’en dirai pas plus.
Sans révéler ta vraie vie, est-ce que Historicoblog (4) a un lien avec une activité réelle dans ta vraie vie ?
Oui et non. Mon véritable travail n’est pas celui d’analyser les documents de propagande militaire de l’Etat islamique ou la dimension militaire du conflit syrien, comme je le fais en ligne. Toutefois, ce que je fais ici sert indirectement dans mon véritable travail, où je suis confronté à certaines problématiques propres au djihadisme, à la radicalisation, à l’histoire immédiate qui en découle, etc.
Tu commentes de nombreux livres sur ton blog ; si les lecteurs de mon blog suprême devaient n’en retenir que deux pour leurs futures lectures de plage, lesquels serait-ce et pourquoi ?
Question ardue :), car j’ai commenté des dizaines d’ouvrages, et par ailleurs ces temps-ci je ne prends plus le temps de dresser ces fiches de lecture, étant accaparé par l’analyse des documents de propagande de l’État islamique.
Toutefois, si je devais en retenir 2 que l’on peut retrouver sur mon dernier blog en date, et récemment, je retiendrai Les passeurs de livres de Daraya, de Delphine Minoui, qui raconte comment les habitants d’un quartier de la périphérie de Damas, encerclés, assiégés et affamés par les forces du régime syrien, se sont servi des livres comme objet de résistance et d’espoir face à l’horreur de leur quotidien.
Et l’adaptation du livre du journaliste Quentin Müller et Brice Andlauer par Pierre Thyss en roman graphique, Traducteurs afghans. Une trahison française, qui parle de ces interprètes afghans, les Tarjuman, utilisés par l’armée française en Afghanistan et pour beaucoup abandonnés à leur sort dans le pays.
Nous voilà bien équipés pour lire sur les plages, merci !
De rien. Côté plage, je peux conseiller par contre celle de Ouistreham, que j’aime beaucoup, dans le coin où le commando Kieffer a posé les pieds le 6 juin 1944.
Parfait. Les lecteurs du blog suprême iront donc cet été à Ouistreham et ils se reconnaîtront.
Je sais que tu souhaites rester discret mais il te faut savoir qu’une interview dans le blog suprême va t’apporter une immense notoriété a minima sur la TL de Twitter ; comment te prépares-tu à cette plongée soudaine dans la célébrité 2.0 ?
Très sereinement :)
Sérieusement, depuis que j’ai été menacé par des apprentis djihadistes, cela m’a apporté beaucoup plus de modestie. On mesure alors combien travailler sur des sujets sensibles sans avoir pris des précautions au préalable peut exposer à la fois sa propre personne et sa famille, et combien il est vain, et dangereux de vouloir rechercher la notoriété, surtout quand son travail est reconnu.
Dans mon domaine de spécialité, j’ai vu trop de personnes se contenter de tweeter, parfois du niveau du café du commerce, sans rien produire d’autre, et attendre gentiment de passer sur BFM TV ou autres plateaux télé. Ou attendre de l’argent, aussi. C’est triste.
Moi je suis serein car ce n’est pas ce que je recherche. J’ai encore refusé récemment une interview à un média plutôt orienté dans la production de vidéos, qui tenait absolument à ce que l’on me voit, même avec une casquette, des lunettes noires et un masque :)
Je vois... du coup, la promesse de femmes nues qui se jetteraient sur toi dans la rue, comme cela arrive régulièrement à ceux qui ont été interviewés sur le blog suprême, ça ne va pas vraiment t’intéresser...
Non, d’autant que ma moitié est très jalouse :) donc je ne m’y risquerai même pas !
Bon bon bon, c’est noté, nos lectrices seront déçues, bien sûr, mais je m’occuperai d’elles.
Où préconises-tu que nous prenions une bière (ou toute autre boisson conviviale) voire que nous dinions quand tout ce bordel de confinement sera levé ?
Là, je botte en touche :)
Mais si je devais imaginer, j’aimerais bien la cantina de Mos Eisley. Ah ben non, on risque de s’y faire couper le bras ou trouer la carcasse par un pilote de vaisseau de mauvais poil.
Sinon, il y a le bar dans Le livre d’Eli, mais Denzel Washington finit par tuer tout le monde :)
Peut-être plus sympa, le bar de l’ouest dans Mon nom est personne, où Terence Hill descend des bières et tire ensuite les verres au pistolet, avant de mettre des claques à un grand ahuri chauve qui lui cherche des poux :)
Bon bon bon, je vois. Et le saloon où Yull Brynner et Steeve McQueen se retrouvent après leur sessions de recrutement dans Les Sept mercenaires, ça t’irait aussi ?
Ah oui, super aussi. Ou bien le bar dans le zeppelin d’Indiana Jones et la dernière croisade.
C’est Christophe Korell qui m’a préconisé de t’interviewer ; as-tu lu son livre ? Si oui, que t’inspire-t-il ?
Oui, j’ai lu le livre, et j’ai trouvé ça très drôle, comme quoi le hasard fait bien les choses : Christophe Korell m’a tagué sur Twitter en référence à son interview à lui au moment où je venais de le finir ou presque. Ça m’a semblé très fort comme coïncidence, presque un signe du destin !
Pour revenir à nos moutons, c’est une lecture que j’ai aimée : je suis moi-même fils « d’homme en bleu », j’ai retrouvé certaines choses de mon enfance ou adolescence dans quelques passages. Le livre pose des questions intéressantes sur les forces de l’ordre sans tomber dans le dénigrement ou la sanctification de la profession. En le refermant, on se pose des questions, donc c’est un bon livre : il fait réfléchir.
À ton tour, qui me préconises-tu d’interviewer après toi ?
J’aurais dit Wassim Nasr (@SimNasr), qui en français est un des meilleurs journalistes sur les thèmes qui m’intéressent, mais je crois que Michel Goya l’a déjà cité.
Je citerai donc Matthieu Suc (@MatthieuSuc), autre journaliste qui a écrit de nombreux articles pour Médiapart sur les djihadistes français et sujets connexes, ainsi qu’un livre sur l’amniyat, le service de renseignements de l’État islamique qui a monté les attentats en France que nous connaissons tous. J’ai eu la chance d’apporter ma petite pierre à son livre et c’est un bon souvenir.
Sinon, je citerai deux tandems : le premier, composé de Maxime Macé (@MaskymMace) et Pierre Plottu (@pierre_plottu). Ancien journaliste et ancien rédacteur-en-chef de France-Soir, qui m’ont débauché à la fin de l’année 2016 pour écrire en toute liberté ou presque des articles de fond sur mes sujets pour ce journal en ligne. Maxime s’occupait de l’édition de mes articles. Presque 3 ans d’une expérience très enrichissante avec qu’ils ne quittent tous les deux, contraints et forcés, un navire en complète perdition, devenu complotiste. Ils écrivent maintenant, entre autres, dans Libération, et ont prolongé leur spécialisation sur l’extrême-droite française.
Le second tandem, ce sont Edith Bouvier (@danslesrues) et Céline Martelet (@CelineMartelet), deux autres journalistes qui elles ont à la fois beaucoup écrit sur les femmes djihadistes, sujet qui a mis du temps à obtenir une certaine reconnaissance (et pourtant...), et qui continuent maintenant à suivre ce qui se passe en Syrie, en contact avec des journalistes locaux, et en allant encore sur la zone. J’échange souvent avec elles , je les ai lues aussi (cf ma fiche de lecture de leur ouvrage sur mon blog, Un parfum de djihad), et comme avec beaucoup de personnes que je ne cite pas, c’est très instructif.
Quelle musique as-tu écoutée pour répondre à cette interview et pourquoi ?
Aucune, car quand je réponds longuement à des questions, j’aime bien le calme :) mais j’aurais pu mettre un anasheed de l’État islamique, puisque par l’étude de leurs documents de propagande, ils font pour ainsi dire partie de ce que j’écoute régulièrement, à des fins d’analyse. Le djihadisme, c’est aussi le son, aujourd’hui...
Sinon, Through the fire and flames de DragonForce. Le rythme me rappelle ce que je fais parfois chaque semaine quand j’analyse la tonne de documents de propagande de l’État islamique - très abondants en ce mois de Ramadan, cette année - ou que je réponds à toutes les questions que mes lecteurs ou mes abonnés Twitter me posent sur des tas de sujets différents...
Sinon, le générique du film Le dernier train du Katanga, Dark of the Sun, pour l’intensité dramatique, quand je dois affronter quelque chose que je n’avais pas prévu.
Et l’avenir, dans tout ça ?
Incertain. J’avais arrêté mon activité 6 mois, entre août 2020 et février 2021, car c’était devenu trop chronophage notamment pour la vie de famille et les à-côtés. Je ne pensais pas revenir. Et puis, pour différentes raisons, je suis quand même revenu, ayant le sentiment que personne ne m’avait remplacé en français et que je laissais un certain vide - ce qui a eu l’air d’être confirmé par mes anciens lecteurs. Et l’État islamique, lui, est toujours là, et bien là. Le fait est que cette activité, qui n’avait rien d’un travail au départ, est devenue de plus en plus professionnelle. En réalité, aujourd’hui, j’ai deux boulots. Et à moins de professionnaliser, concrètement, le deuxième, je ne vois pas comment je peux tenir sur la durée à ce rythme... il me reste donc des choix cruciaux à faire !
C'était l'interview de Historicoblog (4) (@historicoblog4)
Pour en savoir plus :
Historicoblog (4)
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