Au début, il y a eu Christophe Korrel qui m'a recommandé d'interviewer Michel Goya. Un inconnu absolu pour moi qui en connaît si peu sur la Défense. Mais je me suis attelé à lire quelques billets de son blog créé il y a 10 ans. Et puis un bref échange sur Twitter et enfin les réponses du colonel-blogueur ont achevé de me convaincre du bonheur de cette rencontre.
#monanalyse
le 8 MAI 2021,
L'interview de Michel Goya (@Michel_Goya)
Pour en savoir plus :
La voie de l'épée
Je tutoie tous mes interviewés, même ceux que je ne connais que depuis quelques jours, et je vais avoir beaucoup de mal à dire « mon colonel » donc je ne vais même pas essayer ; j’espère qu’il n’y aura pas d’offense ?
Pas de problème au contraire et d’autant plus que je ne suis plus vraiment colonel.
Quel a été ton parcours de combattant ?
Ouh là, je suis entré dans l’armée en 1983 en intégrant l’école des sous-officiers d’infanterie. J’ai servi ensuite pendant quatre ans comme chef de groupe de combat dans un régiment d’infanterie, avant d’intégrer l’École militaire interarmes, l’école de formation d’officier à recrutement interne. J’ai fait ensuite une carrière opérationnelle dans trois régiments d’infanterie de marine, qui comme leur nom ne l’indique pas font partie de l’armée de Terre.
J’ai fait les opérations de l’époque, puis nouveau concours, celui de l’École de guerre et je suis devenu un intellectuel militaire. École de guerre, doctorat d’histoire, puis des années à étudier les conflits en cours dans différents organismes afin de nourrir la réflexion des décideurs militaires. J’ai quitté l’institution militaire le 1er janvier 2015. J’ai écrit avant et après quelques livres sur mes thèmes favoris : l’innovation militaire et le comportement au combat.
Lequel de tes livres un néophyte tel que moi pourrait-il lire pour un premier contact avec ces thèmes ?
Celui dont je suis le plus fier malgré ses défauts est Sous le feu - La mort comme hypothèse de travail, où j’essaie de décrire ce qui se passe dans la tête et le cœur des soldats engagés au combat et comment on tente de s’y préparer.
Pourquoi avoir créé ton blog, « la voie de l’épée » en septembre 2011 ?
Je dirigeais à l’époque un des départements de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire, j’étais donc un chercheur militaire, avec la liberté que doit avoir tout chercheur et l’expertise militaire. J’ai créé La voie de l’épée, pour exprimer des idées, provoquer des débats, promouvoir des ouvrages ou des évènements en rapport avec mon domaine d’études sur les conflits contemporains.
En cette dixième année de blog, ce qui est une belle longévité en l’espèce, où trouves-tu encore ton inspiration pour écrire plusieurs billets chaque mois ?
C’est très variable évidemment, en fonction de mon temps disponible mais surtout de mon inspiration, qui elle-même dépend souvent des évènements. J’avoue être un peu en manque de temps et d’inspiration en ce moment. En même temps, cela signifie qu’il y a peut-être moins d’évènements à commenter et comme ceux que je commente sont souvent tragiques, c’est sans doute tant mieux. Je parle quand même souvent de la mort, qui est mon hypothèse de travail depuis quarante ans.
Nous avons discuté tout récemment sur Twitter au sujet de l’usage généralisé du mot guerre et de sa différence avec les opérations de police.
Parfois je me dis que je vais faire la guerre à mes kilos en trop et puis je me rappelle que la guerre est un acte politique et que mes kilos ne sont pas une entité politique. Du coup, on ne fera jamais la paix et ce sera un combat permanent, bref ce sera un travail de police.
— Michel Goya (@Michel_Goya) May 6, 2021
Qu’avais-tu ressenti quand le président de la République avait répété quinze fois « nous sommes en guerre » au début du premier confinement ?
La « déclaration de guerre » a évidemment une fonction mobilisatrice mais l’expression complète est « la déclaration de guerre à X », X étant par principe une entité politique, un État ou une organisation armée.
Après avoir longtemps évité le mot « guerre », même quand d’évidence on y était, en Afghanistan par exemple, on tend maintenant à en user et en abuser mais surtout pour sa première fonction. On déclarera la guerre à beaucoup de choses, y compris pour des choses qui n’ont rien de politique, le COVID ou « la drogue » par exemple, mais étrangement même dans un contexte politique on conserve toujours une réticence à désigner un ennemi par son nom, en grande partie parce que nommer c’est donner un statut d’interlocuteur. On parlera de guerre au terrorisme, ce qui appuie sur le côté militaire mais qui ne veut rien dire, ou de guerre à l’Islamisme radical ce qui ne veut pas dire beaucoup plus, etc. Je ne me souviens pas avoir entendu un politique désigner donner un nom clair, l’État islamique par exemple.
Donc pour revenir au COVID, je comprends l’intention du discours du président mais le terme est impropre. Le risque est de tout mélanger, guerre et sécurité intérieure par exemple.
Je comprends bien ce que ces abus de langage provoquent. Et le citoyen ignare des sujets de sécurité que je suis visualise bien la différence entre la politique et l’administration. Merci donc pour tes éclairages.
La guerre est-elle toujours un art ?
Et bien je crois qu’il ne s’agit ni d’un art, ni d’une science mais d’une discipline, comme la médecine par exemple. Il faut à la fois avoir une solide connaissance sur des choses qui ne changent pas, de la logique politique de la guerre à ce qui se passe dans le cœur et la tête des gens au combat, mais en même temps, il faut évoluer en permanence dans les manières de faire parce les contextes ou les moyens changent en permanence.
Qu’est-ce que tu as vu changer de la manière la plus significative au cours de ta carrière ?
Les contextes et les regards sur l’action militaire. Quand j’ai commencé ma carrière, je m’entrainais tous les jours à affronter les forces du Pacte du Varsovie en Allemagne dans une ambiance apocalyptique. L’horloge de l’Apocalypse de l’Université de Chicago qui mesurait l’approche vers le minuit d’une guerre nucléaire généralisée indiquait 23H56 de 1984 à 1988. Dans le même temps, derrière ce paravent on se confrontait à la Libye au Tchad, plutôt avec succès, et à l’Iran et là se fut un désastre, notre plus grande défaite de la guerre froide.
Et puis quand je suis sorti de mon école d’officier, l’Union soviétique était en train de disparaître. Exit la guerre froide, l’époque était la police du monde et au « soldat de la paix ». Il n’y avait plus de guerre, sinon en larguant des bombes sur les États voyous, et on envoyait des Casques bleus partout faire de l’interposition et de l’humanitaire, jusqu’à ce qu’on se rende compte que ce n’était pas parce qu’on ne voulait pas d’ennemis qu’on en avait pas.
Cette période d’impuissance terrible a cédé le pas à la guerre contre les organisations armées, en particulier djihadistes, qui ont été les grandes gagnantes militaires de la mondialisation, face à des États de moins en moins libres d’action.
Depuis 2008, on est pleinement, ouvertement et sans interruption engagé en guerre contre ces organisations et ce n’est pas fini alors qu’on voit apparaître aussi le retour de puissances rivales et des confrontations comme celles que l’on avait connues pendant la guerre froide.
Bref, comme dans les statuts de relations sur Facebook : "c’est compliqué".
Depuis que tu connais Maître Roger, comment ta vie a-t-elle changé ?
Le ciel s’est ouvert et désormais je vois clair. Je crois en maître Roger, dernier avatar de Vishnou.
Wow. Tu sais parler à l’humilité légendaire du blogueur suprême, toi...
Tu l’ignores peut-être car nous nous connaissons depuis peu mais la publication d’une interview dans mon blog suprême va t’apporter une célébrité jusque-là ignorée ; des femmes nues se jetteront sur toi dans la rue avec des intentions pacifiques mais certaines ; comment vas-tu t’armer pour vivre cette nouvelle vie qui t’attend ?
Je suis prêt à courir le risque, j’ai connu des périodes plus dangereuses. Je crains cependant que ces manifestations pacifiques ne soient pas compatibles avec les règles de distanciation sociale. Il faudra être un peu patients.
Tu as raison, nous n’avons pas traversé toutes ces épreuves pour échouer, si près de la libération.
C’est Christophe Korell qui m’a recommandé de t’interviewer ; as-tu lu son livre et qu’en as-tu pensé ?
J’avoue que non, qu’il me pardonne. Je l’achète de ce pas.
Je lis son blog et j’aime beaucoup son regard à la fois humain, argumenté et distancié sur la police.
ça fait bizarre, tous ces gens comme Christophe ou toi qui apportez un regard et une analyse si nuancés sur les sujets de sécurité au sens large qui sont si peu le lieu de la nuance dans notre société contemporaine... ça n’est pas trop décourageant de prêcher ainsi dans un contexte si hostile ?
Normalement plus tu connais un domaine et plus tu es nuancé dans tes jugements car tu en connais justement toutes les facettes, lumineuses ou sombres, le potentiel et les limites. Dans le même temps, si tu le connais bien, c’est souvent que tu en fais partie depuis longtemps, et donc a priori que tu l’aimes, ce qui évidemment influe sur les jugements. Celui qui n’y connaît rien n’a pas tous ses problèmes, il peut donner des leçons sans honte puisqu’il ne sait pas forcément qu’il dit souvent des conneries. Ceci dit, je cède parfois à la tentation à la moquerie lorsque je vois quelque chose qui me paraît manifestement ridicule, mais je me soigne.
Sinon, je ne perçois pas forcément le milieu réseau-social comme forcément hostile, peut-être mon naturel optimisme, peut-être ma formation militaire aussi. J’ai passé six mois dans une ville où a moins de 200 obus qui tombaient dans la journée on classait la journée comme « calme », et les obus n’étaient même pas la chose la plus dangereuse, alors les insultes d’inconnus sur Twitter ou autres, je m’en fous un peu. Je me réjouis en revanche lorsque je rencontre des gens intéressants de bien des façons et dans des champs très différents de ceux que je connais.
Et à ton tour, qui me conseilles-tu d’interviewer ?
Il y a tellement de monde. Si tu veux un bloggeur, Florent de Saint-Victor pour Mars Attaque (@Marsattaqueblog). Si tu veux des milis plus cools que moi et qui parlent bien, il y a Jean Michelin (@jean__michelin) ou Ryan Noor (@Ally_Ali18). Anaïs Meunier (@PrincipeDebase) ou Wassim Nasr (@SimNasr) méritent aussi d’être touchés par le doigt de Maître Roger.
J’accomplirai les recherches nécessaires pour les contacter...
Quelle musique as-tu écoutée en répondant à cette interview ?
J’écoute une playlist. En ce moment, c’est Always de Bent qui passe. C’est vieux de vingt ans mais c’est cool, un de mes morceaux préférés.
Et la paix, dans tout ça ?
La paix, je la souhaite pour tous mais pour moi ce serait comme la mort rouge qui s’empare des yeux des guerriers dans l’Illiade, c’est-à-dire la compréhension de la fin prochaine.
C'était l'interview de Michel Goya (@Michel_Goya)
Pour en savoir plus :
La voie de l'épée
avant...
après...