Il a beaucoup de livres, quelques déviances étranges (les Tour de France sans vainqueur, Amélie Nothomb...) et bien bon goût dans ses choix de bédés. Lisons l'interview de Raphaël et réjouissons-nous.
#monanalyse
le 19 MARS 2025,
L'interview de Raphaël Watbled (@raphael_watbled)
Bonjour Raphaël, qui es-tu ? Où vas-tu ?
Bonjour, mon cher Maître.
Ex-minet, ex-sportif, doublement ex-prof, ex-syndicaliste, ex-militant… : tu sais maintenant un peu ce que je ne suis plus.
À ce jour, je suis un pandourson, premier et unique de mon espèce, je griffonne ce qui devient parfois des livres, je gribouille ce qui devient parfois des dessins, et je corrige ce qui devient ensuite des ouvrages d’auteurs publiés par des maisons d’édition et vendus en librairie.
Où vais-je ? Le chemin est trop sinueux pour que j’en aie la moindre idée, mais tant qu’il y a de l’essence, j’avance.
L’essence c’est mal mais je vois l’idée. Pense au covoiturage pour les déplacements quotidiens, hein.
L’impression générale qui se dégage des photos que tu m’as envoyées de tes bibliothèques, c’est : ordre et méthode, classements par thématiques, format des livres… C’est important dans ta vie, la discipline ?
Ça dépend de quelle parcelle de ma vie. Côté alimentation et pratique sportive, je ne suis pas le plus exemplaire. Pour ce qui est d’administrer mon temps personnel (sommeil, oisiveté, heure de lever, heure de coucher…), on repassera.
Mais il y a trois choses pour lesquelles je suis rigoureux : l’adéquation à mes principes, l’accomplissement de mes missions professionnelles et le rangement de mes bibliothèques.
Quels ont été les critères pour choisir les livres qui encadrent la télé ?
Des livres au joli dos, des ouvrages qu’un visiteur aurait envie de feuilleter, de belles éditions… Je me dis qu’avec la collection du Petit Spirou, Garulfo, des BD de chez Cornélius, Blacksad, quelques magazines culturels et surtout un livre sur les éléphants, je ne peux pas laisser mes hôtes désemparés.
Et puis ça habille, et ça neutralise ou contrebalance les images agressives qui pourraient surgir intempestivement sur l’écran de la télé. (Par les temps qui courent, ça ne manque pas.)
(Je suis bien d’accord, d’ailleurs j’ai retourné la télé, de l’autre côté c’est passionnant.)
Tout en bas, il y a : « Chroniques du 20e siècle », « Mystères du bien et du mal », « Mystères de la nature », et puis « Michel Houellebecq ». Quels mystères la lecture houellebecquienne résout-elle ?
Je crains que Houellebecq ne résolve rien, mais, qu’on l’aime ou qu’on le haïsse, il expose une image très réaliste (hélas !) de notre monde. C’est une chronique sociologique de notre temps. Bernard Maris l'avait bien cerné.
Important rayon bédés, dont Spirou, Fantasio, des Lucky Luke d’apparence antédiluvienne, quelques Astérix, Sylex and the City : quelle place la bédé occupe-t-elle dans tes lectures voire relectures ?
Tu as repéré les Lucky Luke, que j’ai en effet récupérés de mon père. Ils ont été lus et relus (par mon père, mon frère, moi...), beaucoup ont perdu leur reliure. Je suis entré dans la lecture par la BD. Enfant, je voulais devenir auteur de BD. Et c’est ce que je relis le plus. Les Spirou de Franquin et ceux de Tome & Janry, c’est ma madeleine.
Dictionnaires d’anglais, Lagarde et Michard pas tout jeunes : tu n’aurais pas fait des études de lettres ?
Je voulais être prof de maths, j’ai bifurqué vers les lettres par soif de savoir, et je n’ai plus trouvé la sortie.
C’est plutôt sympa pour se perdre, les lettres.
L’économie pour les nuls, c’est un exemplaire dédicacé par Bruno Le Maire ?
Nous étions côte à côte dans les toilettes d’un grand café aixois, mais il n’avait pas les mains libres.
Je ne sais pas si j’avais le droit de raconter ça, mais ta causticité a donné de l’élan à ma fougue.
Prenons le droit, nous sommes chez moi et je suis suprême, autant en tirer profit.
Je vois aussi des livres sur la justice, plusieurs sur Christian Ranucci dont « le Pull-over rouge », à côté de « Jack l’éventreur démasque », et même « Au guet-apens » de Maître Mô. Comment ces livres sont-ils venus à toi ?
Une vieille passion pour les affaires judiciaires, notamment criminelles, pour ce qu’elles racontent de leur époque, par leur traitement médiatique, les émotions qu’elles suscitent dans l’opinion publique… Je me documente depuis vingt ans sur l’affaire Ranucci, qui s’est déroulée près de chez moi.
« Le Pull-over rouge » est une sorte de prouesse journalistique, car il a réussi à ancrer dans une grande partie de l'opinion la certitude de l'erreur judiciaire dans le cas de Ranucci – comme s'il était désormais acquis qu'il était innocent. Or la vérité judiciaire est toujours qu'il était coupable.
En revanche, le bouquin a peut-être donné un coup de pouce aux abolitionnistes, et je lui en sais gré.
Je fais mien ton gré.
[image Amélie Nothomb]
Une demi-étagère d’Amélie Nothomb, en grand format : pourquoi ?
Le reste est en poche, dans la bibliothèque idoine. Je la lis depuis l’adolescence, c’est devenu un rituel. Son personnage m’amuse, ses histoires me divertissent, comme un beaujolais nouveau qu’on ouvre entre copains.
Je ne savais pas qu’Amélie Nothomb a un goût de banane, j’apprends un truc grâce à toi, merci #monanalyse
C’est le moment où vient la question que tu attendais peut-être : et le cyclisme, dans tout ça ? D’où te vient une passion, ou à tout un intérêt, pour le Tour de France ?
De mon père et de mon frère (lequel, étant de presque dix ans mon aîné, s’était déjà vu assigner cette passion familiale avant ma naissance).
Le Tour de France est une épopée moderne, follement littéraire. Je comprends les passionnés du Vendée Globe, ce sont les mêmes ressorts. J’ai une fascination toute particulière pour le cyclisme des années 1950. Et j’ai le prénom de Géminiani, ce qui n’est pas totalement fortuit…
Et à ce sujet, ça prend de la valeur avec le temps les livres sur les Tours remportés par Lance Armstrong ?
C’est un investissement dans lequel je me suis lancé dès 1999, j’ai eu du flair. C’est quand même drôle, ces sept bouquins qui racontent une vérité désormais abrogée.
Tes rayonnages au format poche laissent à penser que tu as lu environ tout ce qui se lit, notamment parmi les classiques, et que ça ne date pas d’hier. Comment se constitue ta pile à lire ?
Ma pile à lire n’est pile que dans ma tête : la plupart des bouquins qui la constituent sont déjà à leur place dans les bibliothèques – hormis quelques-uns que je suis susceptible de feuilleter ou de commencer de manière imminente et qui sont ensemble à portée de main – et je sais où aller les chercher quand le temps sera venu. Ce sont autant des nouveautés (des romans contemporains, des essais récents, des BD fraîchement parues…) que des classiques qui patientent encore.
Je n’arrive pas à déchiffrer ce que sont les vieux NRF en bas de l’étagère (en-dessous de Schtroumpfologies et à gauche des Misérables et de la Recherche). Qui sont-ils ?
C’est Proust ! « Jean Santeuil », « Chroniques », « Contre Sainte-Beuve » et toute la Recherche. C’est mon prof de français-latin de troisième, devenu mon ami, qui m’en a fait don.
Dingue, j’ai aussi Jean Santeuil en vieux NRF achetés à la librairie du Musée d’Orsay quand j’étais étudiant.
Le Minitel, les téléphones avec des fils, la TSF pour écouter Radio Londres, Charles Trenet, la télé avec Jean-Louis Debré dedans : on en parle de toutes ces choses surannées ou c’est tabou ?
Pas tabou, mon cher Maître. J’aime vivre avec quelques objets représentants des générations précédentes. Certains m’ont été offerts, mais plusieurs viennent directement du quotidien de mon enfance ou ont appartenu à mes proches. Cela remplit un peu le même rôle que des photos de famille encadrées. Je trouve leur présence apaisante, cela maintient un souvenir doux et j’aime la cohabitation des âges – sans muséifier non plus mon intérieur.
Le Minitel, c’est quand même mon enfance : je me souviens des résultats du brevet des collèges pixellisés sur l’écran, et il m’arrivait de me connecter pour répondre aux questions-concours qu’on posait déjà à la télé pour gagner 1000 francs ou une invitation sur une étape du Tour.
Tu veux me faire chialer ou quoi ?
Ah, moi je suis de l’époque Minitel de RAVEL l’ancêtre de Parcours Sup aka Recensement Automatisé des Vœux des Élèves.
Et non je ne veux pas te faire pleurer, je n’y suis pour rien si tes photos nous entraînent vers une émotion bien compréhensibles pour nous autres être sensibles. Suprêmement sensible, d’ailleurs, pour ce qui me concerne.
C’est Ariane Frontezak qui a recommandé que tu sois interviewé dans le blog suprême après elle. Comment t’es-tu senti en apprenant cette merveilleuse nouvelle ?
Je reste globalement placide à l’annonce des nouvelles qui passent communément pour bonnes, mais celle-ci ne pouvait que me submerger d’émotion. Une sorte de consécration et d’aboutissement. Ça va, je n’en fais pas un peu trop ?
(En plus, on est bien accueilli, ici.)
Non ça va, tu en fais tout juste comme j’aime.
(Et c’est important l’accueil, prends-toi un verre d’armagnac, d’ailleurs)
À ton tour, qui proposes-tu au blogueur suprême pour une future interview ?
Mon cher Maître, fou de joie je serais si tu soumettais Franck Antoni à la question.
(Je t'en ressers un doigt ?)
(Tu ne préfères pas un armagnac, d’abord ?)
Depuis que tu connais Maître Roger, comment ta vie a-t-elle changé ?
J’ignorais que je t’avais connu naguère, par un autre fameux blog, dit de bon goût. Donc, finalement, je m’aperçois, avec la découverte du blog suprême, que je te connaissais depuis longtemps sans le savoir. Rien que cette pensée me transporte dans des lointains méditatifs.
(À la tienne, mon cher Maître.)
(Santé 🙏🏻)
S’il ne restait qu’une poignée de bouquins à (re)lire en attendant la fin du monde, lesquels choisirais-tu ?
Ta question me semble plus que jamais d’actualité.
J’enfourne dans ma besace des Spirou de l’époque Tome & Janry, des romans d’Arto Paasilinna (parce que c’est savoureusement drôle et mordant), des Maupassant, un Flaubert (« L’Éducation sentimentale », peut-être), quelques Agatha Christie (c’est toujours efficace). Après tout ça, je pense que je n’ai plus de place, mais j’aimerais vraiment pouvoir emporter un Robert et un Grevisse.
On a toujours besoin d’un Robert, je confirme.
Et où irais-tu les (re)lire pour patienter jusqu’à ladite fin du monde ?
À la campagne. Il faut des oliviers, des fleurs odorantes, des oiseaux, des écureuils, des hérissons. Une flambée dans la cheminée. Et des pipistrelles qui entrent dans la maison. Tout est accompli.
C'était l'interview de Raphaël Watbled
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