Nous avons grandi sur les internets depuis tant d'années, comme Sophie M le rappelle dans cette interview de grande et influente lectrice. A lire sans modération, conseils de lecture inclus.
#monanalyse
le 19 JANVIER 2025,
L'interview de Sophie M (@simondame.bsky.social)
Bonjour Sophie, qui es-tu ? Où vas-tu ?
Je suis Sophie, une vieille branche des réseaux sociaux, débarquée sur Twitter en 2008, ce qui ne fait pas tout à fait de moi une « early adopter mais presque. J’ai cessé d’y pointer museau après la prise de contrôle par Elon Musk... et depuis je plante ma tente sur Blue Sky (pseudo : SimonDame)
Je cause également de mes lectures sur Instagram via le compte @Sophielitdeslivres (dont la survie dépendra des volontés masculinistes du dirigeant de Méta).
Quant à savoir où je vais... Demain dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne... ah non, c’est pas ça. Ben, je ne sais pas, alors...
Si tu devais te définir en quelques mots : quelle lectrice es-tu ?
Je suis une lectrice compulsive, éclectique, curieuse, qui se laisse guider d’un livre à l’autre par sérendipité.
Tu as rangé les Pléiades à part, pour une raison particulière ? Et pourquoi Proust, Shakespeare et Victor Hugo ?
Les Pléiades, dans une bibliothèque, c’est toujours un problème : on les voit. Alors autant assumer et les mettre en premier plan. Et comme ce sont souvent des cadeaux, ça fait plaisir à ceux qui les offerts.
Proust, parce que c’est le romancier ultime. Je l’ai lu tard, pendant le second confinement, et ça a été ma plus grande découverte littéraire de ces dernières années. C’est drôle, profond, indépassable.
Shakespeare, c’est le Dieu du théâtre, il sait tout faire (comédie, drame, tragédie), il a tout inventé, y compris des pièces Gore où les enfants mangent leur parents en pâté en croute. Et la traduction de François-Victor Hugo dans la Pléiade est excellente et pas du tout datée.
Hugo (Victor), c’est peut-être l’auteur le plus complet qu’on ait eu en France (Théâtre, roman, poésie, essai) et c’était un grand politique et un humaniste.
Intéressant que tu aies cité ces trois auteurs car ils entre tous dans la valise des auteurs à emmener avec soi quand il ne restera plus rien que les livres.
Ah mais je n’y suis pour rien, moi, si ce sont les auteurs de tes Pléiades 🤷🏻♂️
Dans une autre bibliothèque, j’ai l’impression que tu as lu tout Jean d’Ormesson ou encore tout Philippe Jaenada : qu’est-ce qui fait que tu lis toute l’œuvre d’un auteur ?
En général, je lis un livre par hasard qui me plait et je tire le fil. Pour Ormesson, c’est parti de Au Plaisir de Dieu qu’un ami m’avait conseillé parce qu’il raconte le Chateau de Saint-Fargeau que je connais bien. J’ai été emballée et j’ai lu les autres comme un fil rouge au cours des années qui ont suivi.
Pour Jaenada, je l’ai découvert dans une sélection Goncourt (il y a une dizaine d’années, on s’est lancé - avec d’autres lecteurs - un défi sur feu-Twitter de lire tous les livres de la sélection) et j’ai adoré La Serpe. Je lis les autres désormais au fil de mes passages en librairie.
Et sinon, globalement, il y a une logique dans le classement de tes bibliothèques ?
En principe par thème. Et ensuite par auteur. Mais c’est surtout classé comme c’est classé dans ma tête, donc avec un certain degré d’aléa.
Tu as une bibliothèque pour les polars et assimilés. J’y vois Victor del Árbol (j’ai lu La Tristesse du Samouraï et je n’ai pas été subjugué, et pareil pour Le Fils du père tout récemment), Frédéric Paulin (j’ai lu la Trilogie Benlazar avec un plaisir croissant au fil des pages), Robert Littell (je n’en ai pas lu, ai-je tort ?)…
Robert Littell, j’ai lu quelques livres de lui, pas toujours du même niveau. Mais rien que pour La Compagnie, grand roman sur la CIA, il mérite de figurer dans une bibliothèque.
Je prends ta réponse pour une recommandation urgente #monanalyse
Dans son interview, Babils me disait : « quand je ne sais pas trop quoi lire, j’ouvre un polar et ça relance la machine » ; et pour toi, quelle fonction remplissent les polars ?
Un peu comme pour Babils, c’est une parenthèse ludique et « pas prise de tête ». Je crois que les polars peuvent aussi être de très bons livres, ce n’est pas incompatibles. Et comme pour certains auteurs plus « sérieux », je sais m’enticher d’auteurs de polars et tout lire d’eux. Je l’ai fait pour Philippe Kerr par exemple.
Tu as un grand rayon bédés et romans graphiques (comme on dit de nos jours), parmi lesquels j’aperçois Joann Sfar, Pénélope Bagieu, des Astérix en édition originale, l’Arabe du futur, Donald Duck… le plaisir de lire est-il différent avec des images ?
J’aime les œuvres graphiques de la même façon que j’aime les livres sans image. Je me laisse emporter par l’histoire et c’est souvent le texte ou la construction qui priment. L’image pour moi est une atmosphère, une façon de plonger dans le récit.
Sur Instagram, tu as écrit ton bilan de lectrice en 2024, avec 221 livres lus ; tu tiens ta liste de lectures avec quel outil ? Et s’il faut parler de deux livres parmi les 221, lesquels conseilles-tu aux millions de lecteurs du blog suprême ?
J’ai créé ce compte (d’abord sur Tumblr puis sur Insta) justement pour tenir une liste de mes lectures. Il va d’ailleurs falloir que je réfléchisse à comment le sauvegarder...
Parmi les livres lus récemment, je conseille :
- les livres de Robert Menasse, auteur autrichien, dont je recommande de lire La Capitale et L’Elargissement qui parlent tous deux de l’Union Européenne et de la Commission.
- Martyr ! de Kaven Akbar sorti récemment et qui est un roman très original sur l’exil.
- Qui a peur du Genre ?, de Judith Butler pour savoir de quoi en parle quand on en parle
- Les Ephémères, de Andrew O’Hagan, magnifique roman sur l’amitié
Et enfin, La vie ou presque, de Xabi Molia, très beau roman complexe passé un peu inaperçu dans la rentrée littéraire de Septembre 2024 et qui est un de mes gros coups de cœur.
C’est Babils qui a proposé que tu sois interviewée dans le blog suprême. Quels ont été tes sentiments en découvrant cette merveilleuse nouvelle ?
Je me suis sentie très flattée (Babils est adorable) et un tantinet inquiète. Qu’est-ce que je peux bien avoir d’intéressant à raconter ?
Tout le genre humain est intéressant, voyons.
À ton tour, à qui souhaites-tu de connaître la grâce d’une interview par Maître Roger ?
Idéalement, si elle n’a pas été déjà interviewée Avokalif (son pseudo sur Blue Sky). J’aime beaucoup son approche de la lecture et elle m’a conseillé de très bons livres.
Il en sera ainsi, l’heureuse nommée sera invitée à prendre connaissance de la procédure, à l’issue de mon traditionnel délai de procrastination.
Depuis que tu connais Maître Roger, comment ta vie a-t-elle changé ?
J’ai l’impression qu’on a grandi ensemble dans le monde merveilleux des internets et qu’on quittera cette planète en se connaissant sans s’être jamais rencontrés.
Je fais mienne ton impression...
Et s’il ne restait qu’une poignée de livres à emporter pour s’isoler des malheurs du monde, lesquels emporteras-tu ?
Sans doute une Bible de Jérusalem et un Coran (je ne les ai jamais lus et je me disais que ce serait l’occasion si j’avais plein de temps du fait de fous de D*eu), de la poésie parce que c’est sans doute la seule lecture dont on ne peut pas se lasser (Villon, Hugo, Rimbaud, Verlaine, Apollinaire, Aragon, Saint-John Perse, Francis Ponge, Claudel) et je lirais ces livres dont tout le monde parle et que très peu ont lus (en tous cas, pas moi) : comme ça, de tête (et je vais réaliser que j’en ai oubliés plein), ce serait l’occasion de lire La Divine Comédie, Ulysse de Joyce, l’Illiade et l’Odyssée, les Essais de Montaigne, les Mémoires de Churchill, le Mahabharata et les œuvres complètes de Voltaire.
[Note à moi-même pour plus tard : suggérer qu’une « poignée de livres » devrait tenir, sinon dans la main, du moins dans les bras...]
Où t’isolerais-tu avec ta poignée de livres et la camionnette pour la transporter ?
Il faudrait, comme Alceste, trouver sur la terre un endroit écarté où d’être homme d’honneur [femme en ce qui me concerne] on ait la liberté. À ce jour, je crains que les endroits répondant à ces critères sont de moins en moins nombreux.
Faisons-nous signe si, d’aventure, l’endroit devenait identifiable.
C'était l'interview de Sophie M
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