Il est écrivain, auteur de La grande vallée, son dernier roman, et a délaissé quelques heures les questions posées par ses fans sur CuriousCat pour répondre aux questions aiguës du blogueur suprême, au terme d'un concours de procrastination où ils firent presque jeu égal.
#monanalyse
le 28 SEPTEMBRE 2022,
L'interview de Edouard Bureau (@twedouard)
Bonjour Edouard, qui es-tu ? Où vas-tu ?
Mon prénom n’ayant plus de secret, je me sens percé à jour. Je m’en vais donc sous d’autres cieux voir d’autres horizons.
Ah, elle commence bien, cette interview 😒
Ta bio sur Twitter dit de toi : « lecteur et écrivain ». Ah, c’est un métier, lecteur ? ça paye bien ?
L’épanouissement de la lecture, la joie de se reconnaître dans des récits écrits par d’autres – on cesse d’être orgueilleux un quart d’heure après sa mort –, la sensation réconfortante d’appartenir pleinement au genre humain et y trouver de la beauté, ce n’est pas de la monnaie de singe !
Comment naît le premier livre ?
Il naît d’une envie d’en écrire un après en avoir lu beaucoup d’autres. J’ai écrit longtemps beaucoup de poèmes, fort mauvais par ailleurs, j’ai écrit quelques nouvelles, d’une traite avant les relectures, mais je me trouvais face à une incomplétude frustrante : comment vivre ces sensations si vraies plus longtemps ? Il me fallait en fait fusionner ces deux expériences : l’envie de distiller la beauté de la poésie dans une histoire qu’il me fallait donc tirer sur le temps long.
Les écrivains sont souvent des êtres de synthèse et de fusion : ils mettent d’eux-mêmes au milieu des écrits d’autres. Alors j’ai écrit Le Lion sans crinière. Je me sentais à l’époque peu légitime pour véritablement écrire, c’est pourquoi je le faisais presque en me cachant, en amphithéâtre d’étudiant, le soir lorsque tout le monde était couché, dans un obscur open space où on m’avait oublié... Au bout de deux ans et demi, il était prêt !
C’est quoi le quotidien d’un écrivain de métier tel que toi ?
Oh c’est hélas trop peu d’écriture mais suffisamment de lecture : je ne vis pas de ma plume et j’occupe mes journées à d’autres occupations. Ce n’est d’ailleurs pas si attristant : passer mes journées à ma table, à être attendu pour cela, à être reconnu pour ce seul fait, me terroriserait – du moins je le crois tant que je n’y suis pas.
J’ai vu que tu as un compte CuriousCat (des années que je n’en avais pas lu) ; un endroit étrange où tu as commencé par une question : « Est-ce un monologue, est-ce un aparté, sont-ce des liaisons dangereuses ? »
ça sert à quoi, de nos jours, un CuriousCat ?
Je le consulte très peu, la question m’a fait y retourner et on m’a justement posé une question il y a quelques jours. Cette plateforme me plaît parce que les interrogations, grâce à l’anonymat, sont souvent profondes – quoiqu’il y ait quelques trolls mais c’est plus amusant qu’autre chose – et osées, certaines me font gamberger des jours durant, ce qui me fait parfois oublier d’y répondre !
Mais que le message passe clairement : utilisez CuriousCat !
Tssss, non non non ! N’utilisez pas CuriousCat, posez vos questions aux interviewés du blog suprême à moi-même et je transmettrai !
Et au fait : pas merci les gens qui divulgâchent tes romans en posant leurs questions sur CuriousCat 😒
Enfin bref, revenons à notre Twitter commun.
D’après mes suprêmes recherches, ton tweet le plus populaire est celui-ci :
Un seul mot vous manque et tout est dénudé. pic.twitter.com/q2RX6PGR3G
— Edouard Bureau (@twedouard) December 4, 2020
Que nous apprend-il du monde contemporain ?
Que la maladresse amuse et le coït encore plus.
Je crois ne pas être le seul à m’être posé la question : était-ce volontaire ou non ? Dans les deux cas, que l’employée chargée de la décoration ait été cabotine ou abusée, c’est une scène à imaginer.
Pour l’anecdote, la décoration a été enlevée trois jours plus tard, m’a-t-on rapporté sous le touite. Et je ne sais toujours pas ce qui a mené à ce choix : le succès de la photo (j’en doute), la prise de conscience de la patronne du magasin, de son employée, d’une cliente ou d’un passant, toutes les hypothèses sont réjouissantes !
Alors je te confirme, ce n’est pas clair du tout, en vérité !
Et au fait, en parlant de Twitter, comment expliques-tu que ne followes pas encore Maître Roger à l’heure où cette interview est préparée ?
L’offense a été réparée ce jour et cette heure, réjouis-toi cher Maître !
Je me réjouis de cette reconnaissance, même tardive, de ma suprêmitude.
Imaginons (sans peine) que Maître Roger est un génie qui te permet d’accomplir deux vœux, un pour le monde, et un pour toi. Quel sera ton vœu pour le monde ?
La joie du cœur est, je crois, le bien le plus précieux qu’on puisse avoir : elle permet de saisir ce qu’est la grâce et combien nous en sommes parfois comblés. Par ricochet, ça résoudrait tout le reste et c’est une bonne nouvelle.
Et ton vœu pour toi ?
Il y a quelques mois j’eusse répondu « voler » sans originalité mais, depuis, j’ai découvert le parapente et j’en suis estomaqué. En aparté, j’ai un camarade qui répond toujours, à cette question, « passe-muraille » et je trouve ça bien malin.
Mais, bernanosien invétéré, je répondrais « la joie ».
Voler à travers les murailles dans la joie : bien, le génie a du boulot mais bon bon bon… qu’il en soit ainsi.
C’est @OctaveParallele qui a recommandé que tu sois interviewé dans le log suprême ; quels ont été tes sentiments quand tu as appris cette merveilleuse nouvelle ?
Une fierté mêlée de surprise, une indicible élévation dans les plus hautes altitudes de l’orgueil, tombèrent sur moi des cataractes de félicité, des tombereaux d’alacrité, bien sûr. En réalité, il m’a fallu digérer les questions, les penser, pour finalement me retrouver à y répondre plus simplement que je ne l’avais imaginé. C’est que l’exercice de parler de soi et de sa conception des choses et des gens est toujours curieux.
Une longue digestion, en effet 😏
Où te trouvais-tu ? Que faisais-tu quand tu as vu la mention de la recommandation d’@OctaveParallele ?
Les souvenirs sont flous mais, si je lisais @OctaveParallele, je devais probablement être bien heureux : c’est une très chouette femme, une belle personne comme la Terre en cultive peu.
Tu n’ignores pas que la vie des interviewé•e•s du blog suprême est bouleversée dès le jour de la publication. Les femmes seront nues dans la rue et se jetteront sur toi. Comment te prépares-tu à cette révolution de ton quotidien ?
Je tenterai de rester comme avant, c’est-à-dire habillé, afin d’éviter la malséance de mille êtres nus en pleine rue : je suis déjà gêné lorsque deux chiens se reniflent, j’éviterais l’affront à moi-même et aux autres.
Où souhaites-tu dîner avec Maître Roger quand tu seras une star ?
À mon inénarrable adresse trop peu connue et c’est très bien ainsi du XVe arrondissement.
C’est pas un peu bourgeois, comme adresse ?
Ça tire des cotillons, ça boit du saumur agrémenté des mêmes cotillons, ça finit les meilleures carbo de Paris après avoir enlevé lesdits cotillons, le tout sur un fond musical daté de 1989 au carbone 14 : on ne sait pas si on est bourgeois, jet-setter ou laborieux mais on passe un bon moment !
Hormis les questions inspirantes de Maître Roger, qu’as-tu lu de particulièrement marquant ces derniers jours ?
Il a été marquant que Le Maître et Marguerite ne fût pas le chef d’œuvre que le monde entier m’annonçait, je dois dire.
Sinon, j’ai beaucoup aimé Will, l’homme du moulin, de R. L. Stevenson : la concision de ce texte qui parle si justement de notre rapport à l’ailleurs, à l’avenir et à l’amour, me surprend et, j’espère, m’inspirera.
C’est de manière générale toujours agréable de lire des auteurs qu’on aime tout en étant très éloigné de leur style : je suis en parallèle en train de lire Faire l’amour de Jean-Philippe Toussaint, À l’ombre des jeunes filles en fleur de Marcel Proust et Les biffins de Gonesse de Jacques Perret et, bien persuadé que je ne parviendrai jamais à écrire comme eux, je ne le désire pas pour autant. Il y a dans la lecture quelque chose de l’acte gratuit, désintéressé, pour le beau, qui est fascinant.
Ah tiens, tu lis Proust, toi ? J’étais persuadé qu’on ne pouvait que le relire 🤔
Il fallait bien se lancer un jour, après avoir tenu des postures pour s’en tenir éloigné trop longtemps : nous nous regardions lui et moi d’un bout à l’autre du XXe siècle.
Quelle musique as-tu écoutée pour répondre à cette interview ?
J’ai commencé avec BBH75 de Jacques Higelin, un merveilleux album que je dois à mon père d’avoir découvert, le dernier des Two Door Cinema Club Keep on Smiling et je finis avec ma playlist « Romance sans paroles » qui comprend les trois derniers morceaux écoutés en rédigeant cette réponse : « Satin Doll » de Duke Ellington, « Birdslingers » d’Emile Mosseri et « The ballad of Sacco and Vanzetti » de Stéphane Pompougnac en me demandant ce qu’il devient et en remarquant qu’il y a des paroles ce qui contrevient aux grands principes gravés dans le marbre de cette playlist.
J’hésite, pour la suite de la réponse, entre Souleymane Diamanka, Nazare Pereira ou Paolo Fresu. Et je viens de passer devant un nouveau restaurant appelé Meshuga et ça m’a donné envie de me passer « Bleed » de Meshuggah. C’est dire si l’après-midi s’annonce incertaine.
En effet #monanalyse
Quelle image choisis-tu pour illustrer ton interview et pourquoi ce choix ?
Un tableau… parce que j’aime Montserrat Gudiol, qui peint vrai les visages en peignant sobre les décors, ce qui me semble être une réussite et une particularité ibérique, de Zurbaran à Goya, en passant par Murillo et même le Greco ; l’œil se concentre alors sur les émotions des traits et des mains, c’est assez fascinant.
Et la grande vallée, dans tout ça ?
Il me faudrait y retourner. Il nous faudrait tous y retourner, d’ailleurs.
C'était l'interview de Edouard Bureau (@twedouard)
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