Blogueur, co-auteur de livres expliquant au quotidien comment vivre l'encyclique Laudato Si', chrétien, naturaliste, écologiste, compteur de crapauds et autres bestioles, joueur de rôle, traumatisé par Offenbach... ce sont tous ces gens que Maître Roger a interviewés avec Johannes Herrmann, aka Philoscopus.
#monanalyse
le 28 AOUT 2021,
L'interview de Johannes Herrmann (Phylloscopus) (@Taigasangare)
Pour en savoir plus :
La vie oubliée, le blog
Johannes, qui es-tu ? Où vas-tu ?
Je suis un homme pressé. C’est-à-dire qu’il ne reste plus de jus, seulement des pépins.
En vrai, je suis un naturaliste, c’est-à-dire le sous-groupe des environnementalistes / écologistes / écologues qui s’occupent spécifiquement de biodiversité. J’aime qu’il y ait tout autour de nous beaucoup d’oiseaux, de crapauds, de serpents, de papillons, de criquets, d’abeilles ; des outardes canepetières, des sonneurs à ventre jaune, des coronelles girondines, des écailles chinées, des méconèmes tambourinaires ou des anthophores plumeuses, alors je fais de mon mieux pour qu’il y en ait.
Et j’essaie de convaincre mes concitoyens et mes coreligionnaires que c’est très bien pour eux aussi (ça l’est).
Les gens adorent mettre les gens dans des cases : par exemple, écolo donc gauchiste, ou catho donc facho. Que penses-tu des cases ?
Je ne rentre jamais dedans, surtout que le confinement m’a fait prendre un peu de poids : je me porte comme un charme, enfin, un charme de deux cents ans, et surtout du point de vue du diamètre. Du coup, ce n’est pas pratique.
Aussi bien Madame que moi-même, on ne rentre jamais très bien dans une case à la fois. On ne fait pas exprès, c’est comme ça. Toujours en diagonale. On peut trouver ça cavalier, ou simplement se dire qu’on est fous. J’espère juste que les gens, du coup, se disent que ce n’est pas si simple de faire le tour de nos personnes.
Malheureusement, ne pas rentrer dans les cases, ça peut signifier aussi se trouver en échec sur toute la ligne, parce qu’on n’est écouté ni par les uns ni par les autres.
Tu écris des livres avec ton épouse. Comment vous est venue l’idée ? Qui sont vos lecteurs ?
Il y a déjà presque cinq ans, Paul Piccarreta, de la revue Limite à laquelle nous participions, et nous-mêmes sommes tombés d’accord sur le fait qu’on pouvait avoir quelque chose de spécifique à dire sur le sujet : chrétiens, c’est très bien de vous engager en écologie en vous appuyant sur l’encyclique Laudato Si’ (publiée par le pape en 2015) mais il n’y a pas que le climat : l’effondrement de la biodiversité est une autre menace, principalement indépendante de la climatique, tout aussi grave à court terme, mais mal connue.
Surtout en France où la faune sauvage est un sujet dont le grand public s’est très peu emparé. Alors, on a écrit un livre là-dessus qui s’appelle « La vie oubliée » et qui propose des pistes aussi bien sur le plan scientifique que spirituel pour appréhender le sujet.
Ensuite, ce sont les éditions de l’Emmanuel qui nous ont proposé de réaliser un parcours de découverte de cette même encyclique Laudato Si’.
Il y a dix ans, nous ne pensions pas avoir jamais l’occasion de publier de la sorte, même dans le créneau bien délimité de l’approche chrétienne de l’écologie.
Nos lecteurs, pour ces livres, du coup, ce sont principalement des catholiques qui ont lu l’encyclique, pour qui l’écologie (ou la biodiversité) ne sont pas des thèmes très familiers et qui cherchent des billes pour se mettre en route. Il y a plein de chrétiens autour de nous qui disent ça: « on voudrait bien, mais on ne sait pas quoi faire... et on se méfie un peu des écolos... » On essaie de proposer quelques réponses et surtout de faire tomber ces méfiances qui souvent ne sont pas fondées.
En parlant d’écolos, tu as tweeté tout récemment : « La présidentielle qui s’annonce sera décisive pour faire entrer le pays dans la bascule (je n’ose plus dire la transition) écologique. Mais tous les sujets sont trop complexes pour être correctement exprimés en slogans et punchlines. » On est d’accord qu’elle va être pénible, cette année qui vient… et peut-être bien les suivantes aussi, d’ailleurs... Tu préconises qu’on fasse quoi, du coup ?
Twitter maintenant envoie un message « Voulez-vous d’abord lire l’article » quand il constate qu’on va partager un lien sans l’avoir ouvert. Je dirais qu’il faut faire pareil. Les titres, les punchlines, surtout repris avec déformation par l’adversaire, on peut leur faire dire des absurdités à cent lieues de l’intention de leur auteur. Il faut sortir de ce jeu en cherchant les contenus. Et pas seulement les contenus des programmes.
L’écologie, c’est une discipline scientifique et non, non, « les écolos » ne sont pas ceux qui la connaissent le moins. Ils ont des positions discutables mais souvent aussi, j’ai vu tourner en ridicule des projets ou des actions qu’en tant que professionnel, je savais pertinents et efficaces. Il faut absolument qu’on se forme tous, autant que possible, sur ces sujets.
On aura à faire de l’écologie à tous les niveaux, du pied de l’immeuble jusqu’aux sommets internationaux. Il faut s’y plonger, connaître un peu d’écologie théorique, lire des revues comme La Hulotte ou La Salamandre, rencontrer des assos. À part les spécialistes, nos études ne nous ont presque rien appris là-dessus alors que ça va être un enjeu vital.
Tu as un blog, plutôt régulièrement et récemment alimenté, ce qui devient rare de nos jours. Que signifie le titre de ton blog, « La vie oubliée » ? Qu’est-ce que le blog a rendu possible dans ta vie ?
J’ai juste redonné au blog - d’ailleurs très récemment - le titre de notre premier livre, parce qu’il est surtout axé biodiversité et que ce domaine reste encore négligé. C’est très difficile de faire comprendre qu’on ne peut pas le laisser de côté, même pas au profit du climat, et encore moins se permettre de prendre des mesures positives sur le climat, mais défavorables pour la biodiversité.
Ce que le blog a permis ? Principalement nous faire connaître via Twitter, commencer à être lus, à écrire des articles ou disposer de chroniques ici et là (j’en ai eu une sur RCF, une autre dans La Croix hebdo), et donc intéresser des éditeurs. Le blog et les RS m’ont permis de porter un discours d’info et d’alerte sur l’écologie, la biodiversité, ainsi que le lien entre engagement écologique et foi, à un public que je n’avais aucun moyen de toucher autrement. En gros, de faire d’une certaine manière de l’écologie politique et non plus seulement technique comme dans mon travail.
Mais il faut aussi parler de toutes les rencontres, de toutes les personnes avec qui nous avons noué des liens. Notre vie s’en est vraiment élargie, si j’ose dire.
Tu es sur Twitter depuis mars 2013, qu’y étais-tu venu chercher ? Et comment cette quête a-t-elle évolué dans le temps ?
Je suis un bavard impénitent, et comme les forums de football commençaient à me fatiguer, tout comme le club dont j’étais supporter (qui a disparu en décembre 2015), Madame a fini par me convaincre que Twitter était pour moi.
Je crois que j’y cherche toujours la même chose, un espace qui permet d’entrer en contact avec tout le monde, d’interagir avec tout le monde, même quand on n’est qu’un pékin très ordinaire dans mon genre (j’ai cru comprendre que grâce à cette interview, ce serait fini, que j’entrerais de plain-pied dans un gotha de marbre et de paillettes, ma quête est achevée).
Par contre, il m’a fallu constater que les trolls sont drôlement plus coriaces sur Twitter que dans les jeux de rôle, où j’arrivais à en tataner trois sans même piper les dés. Un vieil ami des forums et des réseaux dit que la vie n’est pas un poney-club; force est de reconnaître que ce n’est pas non plus une partie de JRTM.
La vie n’est pas un poney club... j’ai déjà lu ça, récemment...
Et JRTM, c’est quoi cette chose ?
Le Jeu de Rôle des Terres du Milieu. C’est un jeu de rôle qui se déroule dans l’univers de Tolkien, un jeu à l’ancienne, papier, avec des dés et une espèce de despote tapi derrière un écran en carton qui annonce que paf ton épée a ripé et qu’au lieu de couper un orque en deux, elle a cassé en ricochant le pot de moutarde elfique dans le sac à dos de ton collègue.
Ah, je vois. Je n’ai jamais joué à des jeux de rôle mais on m’en a dit le plus grand bien.
Je prends le métro à Paris, je roule à vélo dans ma campagne pour aller chercher le pain et j’ai un composteur. Mais ça n’empêche que mon électricité est nucléaire et que j’ai une Volvo Crit’Air 2. Et je commande des livres chez Amazon. Que dois-je pour la nature ?
T’abonner sur-le-champ à La Hulotte et n’avoir de cesse d’avoir lu la collection complète, adhéré à la LPO, posé trois nichoirs, consacré 1/4 du jardin à une friche en fauche annuelle tardive, appris à reconnaître les oiseaux de la ville et de la campagne où on va chercher le pain et commencé à saisir tes données sur Faune-France.org
Voilà je pense un bon starter pack.
Je pourrais trouver plein de trucs ironiques, du genre signer un contrat obsèques précisant que ton corps doit être disposé sur une placette à vautours, mais la situation est trop grave pour en rire. En fait, on est vraiment dans la merde et on va probablement perdre tout ce qui nous permet d’avoir des métropoles, des Volvo et Amazon. En prendre conscience est ce qui aide à sortir de tout ça, progressivement. Il ne faut pas juste dire qu’un autre monde est possible.
En fait, c’est : la survie de ce monde-ci n’est pas possible. Changer, c’est ni drôle, ni optionnel, ni « amish », ni « idéologique », ni gnangnan, ni irréaliste. On va passer par tout ce que nous en premier, les vieux écolos, on a tenté d’éviter de toutes nos forces.
Merci pour le starter-pack, je m’inscris de ce pas sur faune-france.org !
Tant qu’on en est à parler d’écologie et de notre rapport à la nature, on se lance un petit bad buzz en évoquant la chasse, voire les chasseurs ?
J’ai envie de faire très laconique : globalement, il n’y a plus assez d’animaux pour que revendiquer le droit au loisir de tirer dessus ait du sens. Les quelques cas d’espèces dont on peut vraiment dire qu’elles prolifèrent d’une manière gênante le font parce qu’on a repeuplé, qu’on a modelé un paysage qui leur est archi-favorable, et qu’on ne tolère pas leurs prédateurs. Y remédier n’est pas une excuse suffisante pour pérenniser une pratique qui déclare chassables une grande majorité d’espèces qui n’ont aucun besoin d’être « gérées » et dont beaucoup sont même en mauvais état.
À cet instant, j’ai envie d’illustrer cette partie de ton interview par une planche de Franquin extraite des Idées noires...
Je ne connais pas tous les Franquin sur la chasse mais je crois que je valide d’avance.
C’est Eric Morain qui m’a recommandé de t’interviewer dans le blog suprême ; comment as-tu réagi à cette nouvelle ?
C’est un grand honneur et très sérieusement, une illustration de ce que je disais plus haut sur la richesse et la diversité des rencontres possibles ici. Sans RS, jamais je n’aurais eu la chance d’interagir avec lui.
Et toi, qui me conseilles-tu d’interviewer après toi ? (et pourquoi ?)
Et bien pourquoi pas @Padre_Pio, ou bien @_Le_Nain_ ou alors @renard_alpin
Merci, les impétrants seront invités dans le respect de la procédure en vigueur.
Où te ressources-tu ?
Il ne reste presque plus d’endroits où j’y parviens, les signes de la crise écologique étant visibles absolument partout. Et dès que je suis dehors j’ai le réflexe d’écouter, voir et noter les bêtes sauvages (et il y a partout au moins un rougequeue, un criquet ou une piéride)...
Mais je dirais : dans le bocage du Cotentin où nous allons tous les ans. J’aimerais aussi avoir le temps de retourner faire une retraite à l’abbaye de Ganagobie. Sinon, de manière plus régulière, aller voir un bon petit match de foot de National 2 ou 3, derrière la main courante avec une saucisse frites, c’est l’un des rares moments où l’on déconnecte un peu. Ou tout autre sport, pourvu que ce soit suffisamment loin des ors et des paillettes du sport pro à grand spectacle et budget.
Du verbe « se ressourcer » à « déconnecter »... amusant, moi je vis plutôt le ressourcement comme une reconnexion aux fondamentaux, un vieux livre, quelques préludes et fugues de Bach, ou les Variations Goldberg, et puis aussi un détour pour dire bonjour à la Sainte Vierge de l’église Saint Louis des Chartrons...
Oui. Mais je suis obligé d’intégrer une dimension déconnexion parce que l’éco-anxiété est vraiment quelque chose d’envahissant. D’autant plus envahissante qu’elle se base sur la réalité. Chaque fois qu’on me demande si c’est aussi grave que ça, il me faut répondre « non : pire ».
Depuis que tu connais Maître Roger, comment ta vie a-t-elle changé ?
Jusqu’à recevoir le lien je faisais F5 comme un fou et je surveillais toutes mes boîtes mail. J’en ai contracté une tremblote que je dois soigner à la bière d’abbaye.
J’approuve ces soins.
Tu n’ignores pas que tu vas devenir riche et célèbre grâce à ton interview dans le blog suprême : comment te prépares-tu à vivre comme une star ?
On va racheter une vieille ferme dans la Manche, la rénover et vivre de permaculture en lisant et en écrivant d’autres bouquins. Il y aura des chèvres aussi, c’est bien pour le fromage et le débroussaillage, et des oies pour garder l’entrée et filtrer les visiteurs. On apprendra aussi à saluer façon prince William quand on ira au match à Granville ou Avranches et que les gens se pousseront du coude en se nous montrant du doigt dans la file pour la saucisse frites et peut-être ça nous donnera des entrées gratuites au scriptorial d’Avranches qui a de très beaux manuscrits anciens.
Je suis très serein.
Où souhaites-tu déjeuner en toute sérénité avec Maître Roger pour célébrer ta nouvelle vie de star et profiter des milliers de fans qui solliciteront un autographe quand nous en serons au café ?
Il y a La Citadelle, à Granville, qui est un très bon restau, mais si on est encore à Lyon parce que la ferme n’est pas encore rénovée, la Georges, c’est très bien, en plus c’est grand, et puis les propriétaires pourront ajouter nos noms à la liste des célébrités ayant dîné là-bas. Entre Demis Roussos, Anatole France et Louison Bobet, ça sera hypé.
Entrons chez Georges enrichir le livre d’or !
Quel est le dernier livre que tu as lu et quel plaisir y as-tu trouvé ?
Sans tricher, le plaidoyer pour le vin naturel d’Eric Morain est l’un des derniers et j’ai beaucoup aimé ce qu’il révèle de, comment dire, l’âme humaine du vin, de celui-là en particulier.
En parallèle je lis « La muraille de Chine », de Kafka, un recueil de diverses nouvelles qui sont un abîme agréable à explorer, même s’il est sans fond.
Je révise aussi la clé de détermination des orthoptères et je trouve que les criquets, sauterelles et autres decticelles sont quand même de très beaux animaux.
Quelle musique as-tu écoutée pour répondre à cette interview ?
Quelques cantates de Telemann, j’aime bien ces airs, comment dire, polychromes comme une église baroque, et c’était aussi pour me retirer de la tête un ver d’oreille qui y traîne depuis deux jours (le couplet des rois de La belle Hélène d’Offenbach).
Je fais mienne ta souffrance : Offenbach, c’est terrible.
Et le Christ dans tout ça ?
Je pense sincèrement que sans la foi dans le fait qu’il est avec nous dans les pires épreuves, même s’il ne les résout pas par magie, je finirais de craquer complètement. C’est compliqué d’espérer. Se dire qu’il est venu sauver l’humanité au prix de sa vie et donc qu’elle vaut bien qu’on l’aime, à son exemple. Il ne nous abandonne pas, c’est nous qui l’abandonnons, mais il est toujours là. C’est une solide raison de ne pas tomber dans une aigreur misanthrope, ou un à-quoi-bonisme cynique. Les écolos, chrétiens ou non, aiment l’homme, en vrai, bien qu’on les accuse souvent du contraire. Sinon, ils ne feraient rien, ils laisseraient la catastrophe arriver. Le Christ habite leur combat, même s’ils ne le voient pas forcément. C’est pour ça qu’il est plein non pas de haine de l’homme mais d’amour de l’homme.
C'était l'interview de Johannes Herrmann (Phylloscopus) (@Taigasangare)
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