Padre Pio, homme du Nord et des monts improbables, est un monument historique de Twitter. Son dialogue avec Maître Roger, blogueur suprême, est d'une grande tenue, flamboyant d'intelligence réciproque et de culture aiguë.
#monanalyse
le 21 SEPTEMBRE 2021,
L'interview de Padre_Pio (@Padre_Pio)
Pour en savoir plus :
Police de caractère
Padre, tu es un monument de Twitter, un roc, une référence, mais il y a peut-être des gens parmi les millions de lecteurs du blog suprême qui ne te connaissent pas encore : qui es-tu ? Où vas-tu ?
Ah très bien, tout de suite dans le vif du sujet, pas le temps de niaiser.
Qui suis-je ? Un être humain de plus sur cette planète, soit un sac d’os, de viande et de produits divers, le tout traversé d’un certain nombre d’angoisses existentielles que je gère comme tout le monde, c’est à dire mal.
Et plus précisément peut-être, disons que j’ai un clavier et que je sais à peu près m’en servir pour écrire des trucs ici ou là, avec une légère tendance à infliger des récits et des anecdotes historiques à mes contemporains, même et surtout quand c’est un peu dégueulasse et qu’ils me supplient d’arrêter ça tout de suite.
Où vais-je ? A court terme, dans la cuisine pour filer des croquettes et ouvrir la porte à mes deux foutus chats. A moyen terme, du côté de la Belgique à vélo. A long terme, je... Ben je retourne ouvrir la porte aux chats.
Encore un homme esclave des chats. Etrange époque, quand on y réfléchit.
Quelle information exclusive sur toi peux-tu confier à nos millions de lecteurs qu’ils n’ont jamais lue sur Twitter ?
J’ai passé un temps considérable à tenter d’apprendre à jouer de la guitare pour un résultat parfaitement nul. On croirait entendre un chat qui griffe un tableau avec de la craie humide au milieu d’un nuage de moustiques.
Jouons au portrait chinois… (développements en trois parties pour justifier chaque réponse, bien sûr)
Thèse, antithèse, foutaise, ça me rappellera mes études.
Hu hu, on a dû avoir les mêmes profs...
Si tu étais une bataille ?
Celle du lac Malawi, forcément, parce que j’adore son côté improbable. C’est le premier... Oui, on va dire « combat » naval de la première guerre mondiale, à savoir une engueulade entre un capitaine anglais et un capitaine allemand, tous les deux bourrés avec une rare intensité. Mon fidèle camarade de blog @chroniconoklast avait raconté ça ici :
Si tu étais un gouvernement ?
Celui que Frère Jean des Entommeures propose chez Rabelais m’irait très bien. Fay ce que vouldra, déjà, c’est une belle formule, mais le texte à l’entrée me va franchement bien : « Ci n’entrez pas hypocrites, bigots, vieux matagots, marmiteux boursouflez... »
Excellent programme en effet, j’approuve.
Si tu étais une civilisation disparue ?
J’ai une vraie tendresse pour les Minoens, qui dominaient la Crète jusqu’au moment où ils se sont apparemment pris la version XXXL de l’éruption de Pompéi dans les gencives. Quand j’étais môme, j’avais dans ma chambre une réplique du Disque de Phaïstos, un disque d’argile qu’on a trouvé en 1908. Il porte un texte que personne n’a encore été fichu de déchiffrer, alors qu’on a envoyé tout ce qu’on pouvait en termes de puissance de calcul.
Je trouve ça poétique comme c’est pas permis, cette résistance à se laisser lire.
Tu as créé ton blog, « Déjà vu », sous-titré « l’actualité d’aujourd’hui, les histoires d’hier » ; quelle était ta quête en créant ce blog en février 2013 ?
J’ai une vieille conviction : l’idée qu’au fond, l’espèce humaine fonctionne grosso modo toujours autour des mêmes pulsions depuis la nuit des temps et qu’on retrouve sensiblement les mêmes motivations profondes, à toutes les époques.
Déjà-vu, ça reposait sur l’idée qu’on pouvait toujours trouver un précédent historique à un événement récent. L’exemple typique, c’est le conducteur de chars de l’Empire romain, qui n’a pas grand-chose à envier à un pilote de Formule 1 d’aujourd’hui. Mêmes risques, mêmes chances de se prendre un mur à toute allure, même idolâtrie autour, même cirque de produits dérivés...
Bon, ça trouve un peu ses limites au bout d’un moment, mais c’était rigolo de trouver des correspondances.
Ton premier tweet date du 7 octobre 2009 :
se demande s'il ne devrait pas se confesser.
— Padre_Pio (@Padre_Pio) October 7, 2009
C’était un mercredi, le lendemain, le hashtag #jeudiconfession était en TT : comment as-tu fait pour être si influent, dès le premier tweet ?
Ah oui, manifestement, je me croyais encore au bon vieux temps des statuts Facebook à l’ancienne. Et comme on devait être huit pelés et deux tondus, à l’époque, mon énorme influence a été immédiate.
Moi aussi je me souviens de cette époque hybride où la fréquentation de Facebook n’était pas encore le désastre qu’elle est devenue...
Il fallait bien trouver un héritier aux PowerPoint rigolos que nous envoyaient nos parents par mail. Enfin par courrier électronique, via les autoroutes de l’information.
Ah oui, je me souviens de ça aussi. Ça mettait des heures à se charger avec le modem 56K.
Qu’étais-tu venu chercher sur Twitter ? Et qu’y as-tu trouvé ?
Je ne sais pas trop ce que j’étais venu y chercher, mais je sais ce que j’y ai trouvé.
Côté face, de sacrés moments de rigolade et des rencontres avec des gens qui me sont plus que précieux.
Côté pile, un sacré paquet d’emmerdeurs en tous genres. Mais je me soigne, je commence à admettre qu’il vaut parfois mieux avoir la paix que de s’échiner à démontrer à un troll qu’il n’a pas tous ses moutons dans la même vallée.
Bigre, ne pas avoir tous ses moutons dans la même vallée ? C’est une expression locale ?
Pas lilloise en tout cas, le manque de vallées s’expliquant essentiellement par le manque de collines. Non, c’est une métaphore issue d’une fière tradition familiale, et je ne crois pas l’avoir lue ailleurs.
Elles sont belles, les fières traditions familiales #monanalyse
Notre première interaction remonte au mois de janvier 2012, et tu préconisais une approche radicale de #mavieenreunion (mon hashtag déjà culte à l’époque) :
@maitreroger je préconise un tir de seringue hypodermique.
— Padre_Pio (@Padre_Pio) January 19, 2012
D’où te vient ce pragmatisme, cette capacité à trouver des solutions simples aux problèmes contemporains les plus complexes ?
La flemme. Elle pousse donc aux solutions simples, voire radicales.
Selon mes calculs suprêmes, tu as écrit en moyenne 50 tweets quotidiens depuis le début de ta vie sur le réseau à l’oiseau bleu. Cette prolixité explique-t-elle la baisse tendancielle des billets sur ton blog ?
Je proteste vivement. Enfin pas sur le fait que je passe sans doute beaucoup trop de temps sur Twitter, mais sur mon rythme de production. J’ai lâché Déjà-vu, mais je publie un billet par semaine depuis bien trois ans sur mon nouveau joujou, enmarge.org, en alternance avec mon colocataire @chroniconoklast.
Et c’est déjà du boulot de publier chaque semaine un truc pour raconter des âneries aux gens, si possible bien scandaleuses.
Oups, désolé, mais en même temps tu as laissé « Déjà-vu » dans ton profil sur Twitter et je n’y ai pas du de renvoi vers En Marge.
D’ailleurs, ça me dit quelque chose, ce « En Marge », l’impression d’une assonance, d’un déjà-entendu... coïncidence, je ne dois pas penser ?
Disons que non seulement c’est pas nous, mais qu’en plus on l’a soigneusement fait exprès.
C’est Johannes Herrmann (Phylloscopus) qui m’a recommandé de t’interviewer dans le blog suprême ; quels ont été tes sentiments quand tu as découvert cette recommandation ?
Outre une joie indescriptible et la sensation de toucher au Graal ? Beaucoup d’amitié pour l’ami Herrmann, camarade de longue date et fidèle d’entre les fidèles. Et un rien d’angoisse à l’idée de devoir me montrer aussi suprêmement suprême que le taulier de ces lieux.
Je comprends ton angoisse mais, comme tu as pu le constater, je suis la bienveillance incarnée et tout se passe dans un réel confort pour l’interviewé(e) en générant de la joie.
J’ai de fait une curieuse envie de brailler du Beethoven à pleins poumons.
A ton tour, qui souhaites-tu nommer pour une prochaine interview ?
Je pense que l’indispensable @chroniconoklast est tout indiqué, avec son humour ravageur. Ravagé, aussi, maintenant que j’y songe…
Bien, l’indispensable sera invité à régler avec ma suprêmitude les conditions de sa future interview, dans le respect des procédures en vigueur et des nécessaires délais de procrastination.
Depuis que tu connais Maître Roger, comment ta vie a-t-elle changé ?
Mes cheveux repoussent, plus drus et plus luisants. Bon, c’est timide et ils ont plutôt tendance à s’installer dans mon dos et sur les miches, mais l’effet est incontestable.
Je comprends, j’ai déjà reçu de nombreux témoignages capillaires depuis les toutes premières interviews du temps de mon feu web-journal de 1999 à 2019.
Tu es certes déjà une star parmi les célébrités de Twitter mais tu n’ignores pas que la publication de ton interview va bouleverser ta vie, t’emmener au rang de star interplanétaire ; es-tu prêt à entrer dans cette nouvelle vie ?
Franchement, oui : je vais enfin pouvoir porter des idées qui me sont chères, comme l’éradication des poulpes, l’interdiction de culture de l’endive ou le classement du welsh parmi les légumes.
Je souhaite à ce stade défendre l’endive. J’aime les endives, j’opte toujours pour les endives en accompagnement quand je cuisine ma célèbre tarte au Maroilles.
En parlant de manger, dans quel restaurant souhaites-tu dîner avec Maître Roger quand tu seras une star interplanétaire ?
Alors ça, c’est tout vu : le Kasteelhof à Cassel. Un estaminet dans son jus, où on mange des choses du Nord, riches et bonnes. On sent bien les artères qui se bouchent au début, mais elles s’habituent.
Je connais, parfait. J’arrive.
Mis à part mes questions géniales, quelles sont les dernières lectures qui t’ont apporté de la joie ?
Je viens de finir La vie quotidienne des soldats romains par Yann Le Bohec, mais je n’irais pas jusqu’à dire qu’on se tord de rire à chaque page.
En revanche, je suis plongé dans American Vampire, un excellent roman graphique américain qui imagine ce que pourrait donner la naissance d’une nouvelle espèce de vampires aux Etats-Unis, et c’est de la belle ouvrage, comme on dit.
Quelle musique as-tu écoutée pour répondre à cette interview ?
Man from another time, de Seasick Steve. Du bon vieux blues comme on aime et la plus belle barbe de la scène américaine.
Et David Beckham, dans tout ça ?
Il n’égalera jamais Chris Waddle pour la classe, ni Juninho pour le nombre de fois où un jour de foot m’a fait lever de mon siège.
C'était l'interview de Padre_Pio (@Padre_Pio)
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