Ecrivain vivant au Danemark, Sébastien Doubinsky dialogue avec le jeune padawan de l'interview.
#monanalyse
le 25 NOVEMBRE 2021,
L'interview de
Sébastien Doubinsky (@sebdoubinsky)
et de Oursobouros (@Oursobouros)
Sébastien, peux-tu nous dire qui tu es et ce à quoi tu aspires ?
Je suis un écrivain bilingue, né en 1963 à Paris et qui a vécu une partie de son enfance aux USA. J’habite à Aarhus, au Danemark, où j’enseigne à l’université. Marié, père de deux ados. En tant qu’anarchiste, j’aspire à une société beaucoup plus juste socialement, idéalement égalitaire.
Des aspirations louables. #maperception
Qu’est-ce qui t’a amené à prendre la plume, la toute première fois ?
Je ne me souviens pas de cette « toute première fois » et je suis assez sceptique quant à ces histoires de « genèses d’écrivain•e•s »... On va dire que ce sont des concours de circonstances et de lectures - « Feuillets d’Hypnos » de René Char est, par exemple, le premier texte qui m’a donné l’idée / l’envie d’écrire. Je devais avoir 16 ou 17 ans.
Sans parler de genèse d’écrivain, je m’intéresse à la question du mouvement qui marque. Le pas qui compte n’est pas nécessairement le premier, mais il y a un instant plus important que les autres dans la façon dont on s’ouvre au monde, et peut-être un peu à soi, tu ne crois pas ? Une sorte de petit ou grand bouleversement. #jelanceledébat
Ce qui m’amène à creuser : quelles émotions t’ont porté au fil (et à l’issue) de ta lecture du poète Char ?
Ce qui m’avait touché dans le texte de Char, au-delà de l’aspect poétique, c’était son ancrage dans le réel et dans le politique. C’est un texte sur la résistance, sur le contact physique avec l’ennemi, sur la trahison, la mort - autant de thèmes qui continuent de résonner avec moi.
Mais pour parler de l’instant zéro de l’écriture, ça s’est passé vers mes 20 ans, où, pour des raisons personnelles, je me suis rendu compte qu’écrire n’était pas jouer à la bergère comme Marie-Antoinette, mais une activité sérieuse, qui demandait une mobilisation complète. C’est aussi la prise de conscience, pour moi, qu’il fallait que je publie un jour.
Ton premier tweet date d’avril 2009 et ressemblait curieusement aux statuts affichés par Msn messenger.
is thinking.
— sebastien doubinsky (@sebdoubinsky) April 26, 2009
Qu’est-ce qui t’a amené sur twitter ?
La référence à MSN est volontaire : j’adore parodier les messages inutiles dont nous sommes bombardés chaque jour.
Je suis venu sur Twitter par ma mère, figure-toi. C’est elle qui m’a vanté le côté « info immédiate » ainsi que la possibilité de rencontrer des gens intéressants. Et comme j’écris aussi des dystopies, ça m’intéressait pour des raisons évidentes.
Veux-tu dire par évidence que les réseaux sociaux sont une nourriture pour univers dystopiques ?
Oui, ça c’est évident. Mais pas que : c’est aussi une source de réconfort, de contacts, de soutiens, d’échanges, d’information. Toi et moi, par exemple, nous ne nous serions probablement jamais rencontrés avant leur création. Sinon par hasard, bien entendu. Mais il est vrai que ce sont aussi des instruments parfois (voire souvent) dangereux.
Un outil dont on peut faire de belles choses comme de terribles, oui. Attardons-nous sur l’une d’entre elles si tu le veux bien !
Novembre est le National Novel Writing Month, ou #NaNoWriMo. Comment vois-tu, en tant qu’auteur confirmé, ce challenge annuel ?
Je m’en fiche complètement. Ça ne me concerne absolument pas. Écrire n’est pas une compétition, ni contre les autres, ni, surtout, contre soi-même.
C’est ce que je me tue à répéter à mon cerveau qui me reproche chaque jour de n’avoir toujours pas écrit mon roman #procrastinationforever
En 2001, tu sortais Mira Ceti. En 2021 tu sors Mira Ceti.
N’y aurait-il pas un bug dans la matrice Sebasteus ?
La première maison d’édition (Baleine) de MIRA CETI a dû mettre la clé sous la porte. Quand Quentin Westrich, des toutes nouvelles éditions Abstractions, m’a demandé si j’avais un manuscrit disponible, je lui ai proposé ce texte, qu’il a accepté et auquel il a très généreusement donné une deuxième vie.
Est-ce qu’il y a une forme de nostalgie à voir un écrit passé publié à nouveau ?
De nostalgie, non. Je n’ai pas cette fibre-là. Mais de fierté, oui. De voir qu’un texte résiste à l’érosion du temps, c’est magnifique. C’est le rêve de tout écrivain, de tout artiste, de tout créateur, je crois. J’ai une chance absolument énorme de pouvoir le vivre, pour MIRA CETI et quelques autres de mes romans.
Il est dit parfois que le sens d’une œuvre n’appartient pas à son auteur. As-tu eu une seconde lecture de ton roman avec le temps, en découvrant de nouveaux sens que le toi d’il y a 20 ans n’exprimait pas ?
Tout à fait d’accord avec ta première phrase. C’est ainsi, c’est la règle du jeu.
Quant à MIRA CETI, j’ai réécrit quelques passages, modifié certains mots qui aujourd’hui avaient pris un autre sens : ainsi j’ai remplacé le mot « Eskimo » qui, je l’ai appris récemment, est raciste par « Inuit », qui est une appellation plus correcte. Et pour moi, c’est important.
Mira Ceti était publié la première fois sous les éditions Baleine, nom de la constellation qui abrite justement l’étoile Mira Ceti. Coïncidence ?
Un beau hasard objectif, qui aurait sans doute amusé André Breton.
Ah, tiens ! En parlant d’André Breton ! Il est question d’une Nadja dans ton livre Mira Ceti. Je comptais faire dans cette interview une allusion entendue à l’auteur surréaliste, et voilà que tu m’ouvres grand la porte. Ce n’était donc bel et bien pas un nom choisi au hasard ?
Non, c’était parfaitement volontaire. Je dois à mon père la très belle découverte du Surréalisme, dont il était un fervent admirateur. Beaucoup, sinon tout a été dit et écrit sur ce mouvement, mais pour moi, c’est l’expression de la possibilité d’une liberté totale de création, et d’un bâton qu’on met dans les roues du vélo de la « réalité » normative. J’aime bien les belles chutes.
Ehbien souhaitons-nous les un-e-s les autres de vivre de belles chutes dans les marges.
Eh bien souhaitons-nous les un-e-s les autres de vivre de belles chutes dans les marges.
Tout à fait. Spectaculaires, mêmes.
Ton tweet le plus populaire est à l’image de ton twitter...
Je suis anar, demi-juif, athée et je serre sur mon cœur mes ami.e.s musulman.e.s qui subissent ces flots de haine quotidienne. Honte à ce gouvernement, honte à cette droite, honte cette gauche qui attisent les flammes des pogroms à venir. Nous n'oublierons pas.
— sebastien doubinsky (@sebdoubinsky) October 20, 2020
... investi dans la dénonciation des actes et idéologies racistes, et plus généralement des inégalités. Un combat de tous les jours ?
Oui, tout à fait. Toute littérature (ou forme d’art) est politique. Je le revendique, et je place mon écriture au centre des enjeux sociaux et sociétaux, avec ma sensibilité libertaire (enfin, la vraie, pas celle d’Onfray et autres escrocs).
Comment la définirais-tu, cette vraie sensibilité libertaire ?
Si tu suis un peu mon parcours, tu verras que j’ai toujours revendiqué mon anarchisme.
Mon grand-père, Jacques (Yakov) Doubinsky, était un anarchiste juif russe / ukrainien que je n’ai pas connu (il est mort avant ma naissance), mais qui reste une figure tutélaire importante, pas ses convictions et son combat. Il a refusé de rejoindre les USA en 1941 pour continuer à résister à Lyon.
Il faut cependant aussi dire que mon grand-père maternel, l’historien d’art et archéologue Jean Hubert, était aussi résistant, mais issu d’un milieu catholique et bourgeois.
J’ai une boussole éthique depuis mon enfance qui continue d’indiquer la route à suivre. Donc, pour moi, l’anarchisme, c’est une vision du monde qui rejette absolument, viscéralement toute forme d’injustice ou d’oppression, que ce soit dans les structures d’état, d’éducation ou d’interaction entre individus. Mais c’est aussi prôner une forme de société avec des règles, certes, mais dans le respect de tou•te•s.
C’est finalement loin de la caricature de l’anar qui veut juste tout détruire.
C’est, comme tu le dis, une caricature. L’anarchisme est essentiellement un humanisme. Un humanisme radical.
Comment la France est-elle vue en terres danoises ?
Plutôt positivement quand on parle du vin et de la cuisine, plutôt négativement quand on se réfère à la société et à ses classifications sociales. Par contre, hélas, le niveau de xénophobie et de racisme est très semblable entre les deux pays.
Nous avons tendance à penser de façon centrale et à considérer notre pays comme important (après tout c’est entendable, c’est celui qui a vu naître le blog suprême). Et nous avons dans nos médias un traitement du Danemark inexistant (excepté dans le blog suprême encore une fois décidément).
La France a-t-elle, elle, une place dans les médias danois ?
Oui, mais je dirais « hélas », parce que cette place est soit négative (Les grèves, les Gilets Jaunes, etc.), soit au diapason de nos pires dérives (Printemps Républicain, Zemmour, etc.) Les médias danois sont extrêmement racistes (et même sexistes, ce qui surprendra beaucoup de lecteurs ou de lectrices ici, je pense), et abreuvent leurs lecteurs de « semi-informations » qui appuient leurs préjugés. C’est assez triste, en fait.
Il y a un peu de cette tristesse face à l’état du monde dans Mira Ceti aussi. Un monde traversé par un étranger, dans lequel il ne semble possible de vivre en paix qu’en se faisant oublier.
C’est un roman sur la mélancolie, et une réflexion sur cette notion tellement fluide « d’identité ». Alex, le personnage principal, est un peu comme le Clamence de « La Chute » d’Albert Camus, mais un Clamence errant. La grande, l’énorme différence est qu’il ne juge jamais.
Tu vas désormais avoir ta place dans le blog suprême en bien belles compagnies. Il ne fait aucun doute que cette parution va t’offrir une tribune de dizaines de milliers d’oreilles prêtes à avancer avec toi vers une société plus juste et égalitaire, érigeant malgré toi des statues à ton effigie sur les places publiques. Comment t’es-tu préparé à cette révolution ?
Je me servirai un grand verre de whisky et je porterai un toast à mon reflet dans le miroir.
Délicieuse idée. 🥃
Afin de t’évader de cette popularité, imaginons que je t’invite à dîner entre les lignes, dans un restaurant sorti d’un roman ou d’une nouvelle... Dans quel livre nous retrouverions-nous pour cette parenthèse ?
« Bourlinguer », de Blaise Cendrars. Bien entendu.
Bien entendu. 🍻
C’est la talentueuse @vieuvre qui t’a désigné pour cette interview. Qu’as-tu pensé au moment où tu as reçu cet appel ?
J’ai été très touché, car j’aime vraiment ce qu’elle fait. C’est une artiste très originale.
Et nous devrions le lui dire plus souvent. #monanalyse
Qui souhaites-tu désigner à ton tour pour vivre cette expérience incroyable (n’est-ce pas ?)?
Thibault de Vivies, auteur de l’incroyable « L’Était une fois dans l’Ouest », paru chez publie.net
C’est entendu. @DROGBOX sera donc convié à se présenter dans le blog suprême s’il le désire lui aussi. 🙏
En respectant, cela va de soi, le délai de procrastination que m’a appris à observer mon cher @maitreroger.
C'était l'interview de
Sébastien Doubinsky (@sebdoubinsky)
et de Oursobouros (@Oursobouros)
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